Vivre une vie de marin

« Il y a les vivants, les morts et ceux qui vont sur la mer. »

Je trouve cette phrase magnifique. Elle décrit très simplement l’autre monde dans lequel on se trouve. Elle peut même être adaptée à d’autres disciplines : ceux qui vont sous la mer, ceux qui vont dans le ciel, ou encore ceux qui volent à mi-chemin entre ciel et terre, sur le dos d’un cheval.

Louis et moi ne sommes pas très doués pour faire des vidéos, mais promis, on s’y attelle. Le truc est que c’est hyper frustrant de ne pas pouvoir vous partager ce que nous vivons. A la rigueur si nous avions plus de temps dans nos journées, des conditions de tournage plus simple (je suis en train d’écrire ces lignes le bateau lancé entre 16 et 20knt de nuit, sous spi, l’étrave fume du coup les doigts tapent souvent la mauvaise touche !) mais là… 

Dur de vous faire vivre ce que nous vivons entre les bruits, le vent, sentir le bateau vivre sous ses pieds, les différentes odeurs du large… Enfin pour ce dernier point c’est râpé pour le moment, mon cap’tain ayant eu la gentillesse de me partager sa crève… mais il a réussi à se faire pardonner en me sortant de je ne sais où, un grog à la sauce normande !

Chacun de nous a une raison d’être sur l’eau, et nous aimons probablement tous un truc différent. Pour certains c’est la recherche de l’adrénaline que procure le danger du large mixé à la vitesse ou même pour le dépassement de soi, pour d’autre c’est le moyen de réaliser des prouesses architecturales, ou encore pour jouer au plus malin sur de la météo et de la stratégie. 

Pour ma part, rien à faire, je ne serai jamais coureur au large (et c’est très bien comme ça !) j’aime juste être sur l’eau, vivre une vie de marin, et faire aller bien de beaux bateaux.

Nous déboulons à 15, 20 knt et j’avoue adorer ça. Avoir une pelle à feux en carbone sous les pieds, sentir l’eau à quelques centimètres de soi, vibrer et taper contre la coque, c’est quelque chose.  Pourtant je trouve que ce n’est pas la vitesse en soi qui est intéressante, mais le fait de bien faire avancer un bateau que l’on trouve beau. La vitesse est relative. Un classique bien lancé à 10/12knt est tout aussi satisfaisant qu’un moderne qui file à pleine allure. Ça commence à se savoir, j’ai une passion pour les bateaux en bois d’arbre, mais Fife ou Herreshoff avaient ce don de dessiner des bateaux rapide et esthétiquement irréprochable.

Bien faire avancer ce type de bateau, obtenir des 15, 20 (voir plus !) membres d’équipage de passer de belles manœuvres alors que le plus souvent il n’y a pas de winch pour des spis de plus de 400m2 et que les kilomètres de bouts sont blancs (on fait du yachting svp !) là aussi, c’est quelque chose. 

Ici, c’est un peu la même, sauf que l’on est plus en mode « vie de sanglier » que yachting… Louis et moi prenons beaucoup de plaisir à bien faire avancer ce beau bateau, à tenter de passer toutes les manœuvres le plus proprement possible, se congratulant d’un « elle était pas mal celle la non ? » histoire de vérifier que nous avons bien eu la même sensation. Réaliser une belle manœuvre, quand tout passe « crème » comme on dit, sans que le niveau sonore n’augmente, et sentir l’harmonie entre notre encore jeune trio : priceless.

Vivre une vie de marin, c’est prendre soin de notre petit vaisseau spatial, à bord duquel nos ressources sont limitées. C’est aussi savoir profiter du temps qui passe, de tous ces petits moments de vie à bord, dans notre binôme et même quand l’autre dort. Savoir être dans le moment présent et profiter de chaque beauté : si seulement nous pouvions vous filmer ce que nous voyons la nuit… Voir l’écume du bateau qui fume sur l’étrave, avant de filer à toute vitesse le long de la coque éclairée par les feux de nav’… Si vous pouviez voir la clarté du ciel, sans pollution lumineuse, d’une profondeur digne d’une super production à la Walt Disney, la lune qui les nuits précédentes était rousse feux, le calme que procure la masse qui nous entoure… 

Cette nuit, la mer est noire, le ciel tellement sombre que l’on ne sait pas où est l’horizon. Même notre sillage disparait en quelques mètres, on ne voit rien devant, à part l’étrave éclairée par le projecteur de pont. Sensation étrange de dévaler une piste les yeux bandés… C’est dans ces moments-là que l’on fait entièrement confiance au bateau (et au pilote auto 😉 )

J’ai tendance à être contemplative, mais c’est tellement beau ici. Les premiers jours furent peut-être pénibles pour les nerfs, pourtant entre les différentes teintes de mer, les nuages, les dauphins, (vous saviez que nous entendons clairement leurs conversations dans les coques en carbones ?) et un petit tour de rase cailloux dans la chaussée de Sein saluer Ar Men, un matin au lever du jour… Comme dit Louis,  » la plaisance, c’est le pied » (mais pas sûr qu’elle soit de lui celle-là…?) 

Nous avons tous la chance d’être sur Terre, nous autres, marins avons le privilège d’aller sur la mer… Nous ne sommes pas dans le même monde mais bien sur la même planète, à bord du même vaisseau spatial. Alors après tout peut être n’est-ce pas si différent, seulement peut être faisons-nous plus attention à certaines choses lorsque nous sommes en mer…

Bonne nuit et bon quart à tous,

Marie pour l’Imoca Kostum-Lantana Paysage.